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De Pierre et de Sel...
29 octobre 2017

Addict

Lorsque j'ai lu "Dora Bruder", de Modiano, je terminais de reconstituer, via des sources indirectes, l'histoire d'un procès pour meurtre du XIXème siècle dont le dossier avait intégralement disparu des archives officielles.
Je ne saurais exprimer que confusément ce que cet exercice m'avait apporté sur le plan personnel ; le meurtre avait eu lieu pas loin de chez moi, une des personnes qui avaient eu un rôle crucial lors du procès était un arrière-arrière(...)arrière-grand oncle, et alors que l'affaire avait fait du bruit dans le département, pour l'époque, personne n'en avait jamais entendu parler dans la famille, ni dans le village d'ailleurs. Toutes les pièces pouvant évoquer le malheureux disparu s'étaient volatilisées (versée au procès disparu ?), bref, je m'étais passionnée pour cette histoire, au point d'en devenir quasi obsessionnelle le temps de reconstituer ce que je pouvais de l'affaire et des liens entre les différents protagonistes.

La lecture de "Dora Bruder" avait dans ce contexte violemment fait écho en moi.

Addict

Et pour ces mêmes raisons, la lecture de "Addict", de James Renner, s'est imposée comme une évidence.

L'auteur, journaliste, raconte l'enquête qu'il a menée autour de la disparition d'une jeune élève infirmière sur le point de se marrier, Maura Murray, dont la voiture est retrouvée à des centaines de kilomètres de chez elle. Une disparition qui avait eu lieu en 2004, et qui n'était toujours pas élucidée en 2010 quand James Renner a décidé de mener sa propre enquête.

Sauf que James Renner est particulier ; il fonctionne sur le même mode que les tueurs en série et les meilleurs flics américains... En bref, James Renner est un sociopathe, élevé dans une famille dysfonctionnelle, qui tente de garder son équilibre et de mener une vie normale entre ses obsessions, ses démons, ses excès, son fils dont il surveille les signes d'anormalité, sa femme, dont on se demande comment elle réussit à garder les pieds sur terre avec un mari de ce calibre, son métier de journaliste et son activité d'écrivain.

Alors je ne vais pas mentir, j'ai d'abord été complètement happée par ce roman qui n'en est pas un puisqu'il s'agit du récit d'une sorte d'enquête journalistique sur une disparition mystérieuse.

D'autant que certains passages m'avaient immédiatement accrochée : "Je ne suis plus surpris par les coïncidences étranges qui ponctuent ma vie. Après des années à traiter de crimes dans mes écrits, j'en suis arrivé à croire qu'il existe quelque schéma de l'univers, un certain ordre dans la tournure des choses. Une "formidable symétrie" ; c'est le nom que je lui ai donné. Pas forcément un dessein intelligent, plutôt une sorte de trame naturelle, ou quelque chose comme ça" : voilà qui me parlait et m'intéressait grandement.

Sauf qu'au bout de quelques chapitres, justement parce que j'avais conscience de ne pas avoir affaire à un roman, j'ai commencé à éprouver un léger malaise, qui n'a cessé de s'accentuer au fil des pages. J'avais l'impression de m'engluer dans l'obsession d'un autre (sentiment que je n'avais eu à aucun moment à la lecture de "Dora Bruder"), et, sentiment extrêment déplaisant : je me suis sentie voyeuse - je ne lis normalement jamais ces livres témoignages où les auteurs déballent leur intimité personnelle / familiale sous couvert de célébrité des parents / du conjoint, de fonction cathartique de l'écriture après un drame ou autre.

Or ce que j'avais abordé comme une enquête décalée prenait les traits d'une plongée dérangeante dans l'esprit torturé d'un homme fouillant contre leur assentiment la vie des membres d'une famille et son entourage, exhumant des détails privés, intimes, regroupés dans un récit quasi "clinique". De plus James Renner ayant beaucoup utilisé les réseaux sociaux pour son enquête, avec son lot de personnes perturbées, je me sentais baigner dans une ambiance aux relents de sordide.

En refermant le livre, j'ai réalisé que James Renner avait dédicacé son travail à "Keith", qui est le prénom de son grand-père, et cette dédicace a pris tout son sens à ce moment là, second degré cynique ou humour trash, je ne sais pas, mais qui a achevé de me perturber.

"Addict" est un livre troublant, à la fois intéressant et dérangeant, qui ne m'a pas laissée indifférente, mais dont je suis incapable d'en dire grand chose qui ne soit très personnel : pour avoir discuté avec d'autres personnes de cette lecture, je me suis rendu compte qu'il pouvait résonner très différemment en chacun de nous.

Un livre vraiment curieux dont j'aimerais beaucoup lire d'autres critiques.

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Commentaires
G
Bon évidemment je suis plus dora Bruder qu'Addict mais ce que tu en dis est intrigant....(sauf que là je suis à fond dans Mendelsohn et que vraiment je me dis que c'est ça la vraie littérature)
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