L'autostoppeuse
Je ne prends habituellement pas d’autostoppeur.
Elle se tenait au bord de la route et, me voyant en approche, fit un geste de la main comme pour m’interpeler. Sans doute que si elle s’était contentée de tendre le pouce sagement, je ne l’aurais même pas remarquée, fine silhouette parmi d’autres sur le bord des routes. Je lui ai demandé où elle allait ; dans une vallée, c’est une chance sur deux, elle allait dans ma direction. Mieux, elle m’a donné le nom du village où je devais faire une halte sur mon chemin de retour.
Il faisait doux, dehors, et le soleil bien que voilé réchauffait l’habitacle. Un vent tiède venu du Sud. De ces journées qui annoncent le printemps, et impulsent envies de découverte, d’aventure...
Nous avons discuté de littérature, nous sommes recommandé des auteurs, avons regretté la fermeture des lieux de culture. Aussi, elle m’a raconté qu’elle était sur le départ, avec sa famille, qu’ils se préparaient à faire un petit périple de plusieurs semaines.
En redémarrant, après l’avoir déposée, j’ai été traversée par l’envie fugace de tout plaquer, et de partir à l’aventure, n’importe où, au gré de ce que m’inspireraient les noms de lieux... Dieulefit (26) en 7 jours, j’y parviendrais avant, Malaucène (84) abrite-t-il une Fée carabine ? à Vauvert (30), joue-t-on « Sympathy for the devil » ? et Créon (33) pour y faire ma petite, mais active Antigone, L’Île-d’Elle (85) pour emmener le refrain sur le trou noir de mon chagrin, Queuille (63) ire du jour présent, dans les méandres de mon temps, Issé (44) enfin les voiles, pour le Bout du bout de mon monde… je m’imaginais découvrir, redécouvrir lieux, paysages, ambiances… prête à texter sur le groupe familial « ne m’attendez pas : je pars. J’ignore encore la date de mon retour ».
Et puis je me suis souvenu : la lettre à envoyer, la facture à payer, le linge à étendre… j’ai pris la route de la maison.
La cime des montagnes, encore blanches, se découpait sur un ciel très pâle chargé des poussières de sable de ces terres du Sud où je n’irai jamais. Un intéressant camaïeu terne que j’aurais aimé photographier. Une lumière d’hiver dans une atmosphère de printemps. Aurais-je réussi à retranscrire cette ambiance si spéciale en photo ? Je n’ai même pas pris le temps de m’arrêter : j’avais encore des choses à faire avant le couvre-feu…
Je crois que je souffre d’une incurable routinite majeure aiguë, chronique, évolutive et avancée.
Camaïeu marin du Bout du monde dont je ne me lasse pas.