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De Pierre et de Sel...
11 juin 2020

Souriez et faites Duchenne ! --- Chroniques d’une société post-covid-19

J’attache mes cheveux en chignon pour qu’ainsi l’élastique du masque ne glisse pas (j’ai la tête mal foutue : tous les élastiques glissent dans le cou). Gel. Je sors le masque de son sachet et m’en affuble. A la première expiration mes lunettes deviennent opaques, je les enlève. Tant pis. Quitte à devoir coller le nez sur les rayons pour cause de myopie (j’arrive à un âge où on est supposé développer une presbytie, aimant me distinguer, je suis devenue myope), quitte à devoir coller le nez sur les rayons pour cause de myopie, disais-je, autant le faire en flou naturel, sans compter que les lunettes opaques pourraient m’empêcher de voir où je mets mes pieds.

Courses alimentaire. Le magasin est presque vide, j’ai choisi l’heure en conséquent.

En caisse, après avoir sauté d’autocollant en autocollant comme on saute de case en case à la marelle, je dépose mes achats sur le tapis roulant. La caissière m’adresse la parole, une parole noyée dans le tissu du masque et dont l’onde, détournée par la courbe de la visière, peine à faire le tour de la vitre de plexiglas et s’évanouit sur les côtés. Vous pouvez répéter ? Elle s’excuse : elle ne s’est pas encore adaptée à son attirail. Ca m’évite de penser que je deviens peut-être sourde (j’arrive à cet âge où on collectionne les signes de déclin comme on collectionnait les images, enfant : de manière compulsive). Je veux lui sourire, et pour que mon sourire ne passe pas inaperçu, je force sur mes orbicularis oculi et lui produis mon plus beau Duchenne. On dirait que j’ai le soleil dans les yeux. Je me sens ridicule, mais ses yeux se plissent également. Sont-ils toujours aussi plissés lorsqu'elle sourit, ou force-t-elle autant que moi ?

Elle m’annonce le montant, que je n’entends pas, mais ne lui fais pas répéter : après tout je suis peut-être bien en train de devenir sourde, j’aime autant qu’elle garde le doute. On a son orgueil. Mais je me trahis en beuglant que je vais payer par carte bancaire… je m’en rends compte immédiatement et termine la phrase sur un ton normal. J’ai envie de rire, parce que le résultat est vraiment bizarre… c’est marrant tout de même cette façon de spontanément parler plus fort quand on entend mal (je me rends compte à quel point j’entends mieux quand je vois bouger les lèvres).

Je tape mon code avec l’articulation que j’utilise habituellement pour frapper à une porte. Elle me tend le ticket d’une main gantée, nous échangeons un nouveau Duchenne en nous saluant.

Librairie.

Le personnel surveillant arbore un masque noir assorti à sa tenue. C’est comme si les masques étaient devenus partie intégrante de l’uniforme. Comme si leur port était ancré dans la durée. Nous vivons vraiment une période bizarre. Très élégant, le masque assorti au costume, lui dis-je, pour me donner une contenance parce que je me rends compte que je détaille trop longuement son masque. Il me répond un merci étouffé, de politesse, sans conviction.

En un quart d’heure, je cueille quatre livres : les deux pour lesquels je m’étais déplacée, la réédition d’un roman que j’espérais trouver depuis longtemps, et un dernier embarqué au hasard, juste à cause de l’illustration de couverture et parce que le titre contenait le mot "mémoire". Comptant sur le hasard, qui ne fait pourtant pas toujours si bien choses qu'on le souhaiterait. Il va me falloir patienter pour les lire, ce qui me contrarie un peu.

Dans la file d’attente, la femme devant moi se rend compte qu’elle est à côté de la croix (avant, on était à côté de la plaque ^^) et fait un petit saut de côté pour atterrir dessus. J’éclate de rire. Elle me regarde, mais mon Duchenne XXL ne lui fait aucun effet : le coin de ses yeux reste immobile.

Le caissier, lui, en revanche, a le coin de l’œil tellement plissé que je me demande s’il n’est pas en train de se moquer de moi. Je lui demande si ce n’est pas trop dur avec le masque, il répond qu’il s’habitue, mais qu’il est content de pouvoir l’enlever en fin de journée. Comme je n’ai aucun problème pour l’entendre ou le comprendre, je me dis que je ne suis pas aussi sourde que je le craignais. Je règle par carte bancaire, me rends compte que je tape le code avec l’index, tant pis. Je glisse mes livres dans mon sac et me dirige vers la sortie.

En reprenant les escalators pour descendre, je remarque qu’il n’y a aucun signe sur les marches pour matérialiser les positions. Qu’on peut donc s’y entasser sans état d’âme.

L’escalator, dernier bastion de la vie d’avant ?

 

 

Emotions: They Control Us: Duchenne Smile Vs. Nonduchenne ...

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Commentaires
M
Ha ha ha , c'est du vécu ça ! Quelle vie trépidante tu as...c'est plus cool par ici il me semble pour le respect des règles mais quand même c'est tellement vrai ce que tu racontes là ! <br /> <br /> La mode va récupérer le truc des masques assortis au reste de la tenue...
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M
Nous vivons tous ce genre d'aventure(s).<br /> <br /> Dernièrement, suivant la file ordonnée, barrée, croisée, je souriais (facile et incognito) en m'imaginant dans un camp de nudistes... Rare textile sur le nez...<br /> <br /> Aurai-je été sensible au sourire de l'Hôtesse de caisse?... Je me pose encore la question...<br /> <br /> (Sympa d'être passée chez moi, Merci!)
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A
Alors je remercie le ciel d'habiter en Suisse. On respecte les règles, mais le masque n'est pas obligatoire. Ouf. On peut lire sur les lèvres ! Parce que tout comme toi, j'ai besoin de voir les lèvres bouger pour comprendre. D'ailleurs, si je n'ai pas mes lunettes de myope, je n'entends pas.
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C
Il va falloir s'habituer, vivre avec et voire même, hélas, respecter ceux qui ne respectent rien
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A
Bon, je ne commente plus les billet covid. <br /> <br /> Je retiens juste le sourire Duchenne et mes zygomatiques hypertrophiés 😃😃😃😃
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